17 juin 2008

L'institutrice

J'ai connu Françoise L., une Parisienne établie au Québec, au début des années quatre-vingt. Elle avait une dizaine d'années de plus que moi. Ce ne fut pas un grand amour, plutôt un moment agréable dans une époque ô combien tourmentée. Davantage un fantasme qu'un engagement. Davantage un accident que la poursuite d'une chose heureuse...

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Comme bien des petits écoliers, j'ai souvent été amoureux de mes «maîtresses d'école». En première année, il s'agissait de Madame Leclerc. Une belle grande femme toujours impeccablement coiffée d'un chignon tout à fait convenable pour l'époque. Elle portait de longues jupes étroites qui descendaient sous les genoux. Je n'étais pas le seul à la trouver jolie ; je crois qu'elle hantait les rêves de beaucoup de mes camarades de classe. En deuxième année, ce fut Mademoiselle Rondeau. Moins jolie, certes, mais aucun élève n'a oublié, j'en suis sûr, ces blouses diaphanes qu'elle affectionnait. Nous devinions, sous le léger tissu, le soutien-gorge et, parfois, un soleil coquin nous laissait admirer des formes qui troublaient nos jeunes esprits. En troisième année, Madame Bourget ne suscita pas de sentiments coupables. Une belle personne, mais légèrement extravagante. Elle se teignait constamment les cheveux, une habitude un peu déroutante pour les jeunes hommes que nous étions. Et elle était souvent absente.

En quatrième et en cinquième année, les choses changèrent. Madame Gagnon et Madame Lacasse furent de très bonnes enseignantes, mais elles étaient «vieilles» ; nos pensées restèrent donc chastes en leur compagnie. Ce qui ne m'empêcha pas de les apprécier, notamment Madame Gagnon, qui fut une institutrice attentionnée et douce.

La fin de mon primaire se passa à Laval. Un homme m'enseigna en sixième année et, en septième, ce fut la redoutable Madame Chalifoux. D'un certain âge, maigrichonne, sèche et sévère, elle ne pouvait allumer aucune passion. D'autant plus qu'elle ne dédaignait pas la manière forte ; une retentissante gifle m'a laissé un souvenir impérissable de sa pédagogie. On avait intérêt à marcher droit...

J'ai commencé mon secondaire dans une école de garçons. Aucune femme ne nous enseignait. L'atmosphère virile qui régnait en ces lieux nous portait à adopter une attitude machiste. Il était davantage question de chamailleries, de bagarres et de coups pendables que d'évocations romantiques. Nul n'aurait osé montrer un côté fleur bleue qui l'aurait ridiculisé à jamais. Bien sûr, les filles nous intéressaient, mais une espèce de code d'honneur nous interdisait d'en parler autrement qu'en employant des mots bien peu flatteurs. Ce fut le règne des mille euphémismes disgracieux qu'on utilisait alors pour désigner ces créatures qui titillaient nos sens.

Puis, en 1969, l'ère des polyvalentes arriva. Époque bénie, bien sûr ! Des filles par centaines, de quoi allumer tout adolescent normalement constitué. Comme elles m'ont fait rêver, ces demoiselles ! Plusieurs m'ont laissé de délicieux souvenirs. Quant aux enseignantes, je n'en garde que de vagues réminiscences. Il y a bien eu une enseignante en arts plastiques que je courtisais stupidement. Je crois que ça l'amusait. Mes efforts prétentieux ne m'ont pas permis de jouir des faveurs de la belle, mais au moins m'autorisaient-ils à faire à peu près ce que je voulais dans ce cours où je n'étais pas très souvent présent. Et cette autre, qui nous enseignait la musique, toute jeune, tout embarrassée par ces grands garçons qui la reluquaient sans retenue aucune. Il lui en a fallu du courage pour nous affronter. Elle m'a tout de même appris à lire la musique, ce qui n'était pas un mince exploit compte tenu de mon manque d'assiduité. Il y a eu aussi cette prof d'histoire, au Mont-de-La Salle. Je frôlais alors les dix-huit ans, âge vénérable qui me faisait l'aîné de la classe. Aux oeillades que nous échangions, il était clair que les choses pouvaient évoluer en une direction qui promettait de bien charmants plaisirs. Malheureusement, j'ai quitté l'école en milieu d'année et jamais je n'ai pu concrétiser mes désirs.

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J'ai entrepris mes études collégiales alors que j'étais adulte, et marié. Je travaillais le jour et fréquentais le cégep le soir. Pas de rencontres galantes, ma situation conjugale ne me prédisposant pas aux jeux de l'amour. Évidemment, je fus sensible aux charmes de certaines personnes du sexe, et notamment à ceux d'une délicieuse prof de français, Marie-Claude. Mais je me gardai bien de faire part à cette dame des émois qu'elle provoquait en mon être. Il y eut pourtant une exception : Diane C. Je ne me souviens pas de la matière qu'elle enseignait, mais je n'ai pas oublié les regards qu'elle me jetait. Il n'y avait aucune ambiguïté. À la fin de la session, après un repas largement arrosé dans un restaurant du Vieux-Montréal, nous nous sommes épanchés, ce qui s'est traduit par de langoureuses embrassades, et devant témoins. La chose était gênante... et n'a pas eu de suite. Elle m'a relancé, une fois, je n'ai pas répondu ; je dois être honnête : j'aurais bien voulu mieux connaître cette créature, j'ai même conçu le projet de la revoir, mais je n'ai pu me résoudre à franchir la frontière qui sépare l'homme fidèle du mari adultère. Une stupide question d'honneur.

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Au fil des ans, au cours de l'enfance, de l'adolescence et de l'âge adulte, plusieurs femmes chargées de mon éducation ont donc troublé mon esprit. Je n'ai pourtant jamais succombé aux désirs qui pouvaient incendier mon coeur. Cela est arrivé plus tard, extra-muros, en quelque sorte.

Mes fils fréquentaient alors une école alternative du Plateau. Comme parent, je fus un modèle d'engagement et de soutien au personnel enseignant. Je passais une bonne partie de mes temps libres à l'école. C'est que j'en avais beaucoup, des temps libres. J'avais terminé ma scolarité de maîtrise et mon mémoire était en suspens, ma directrice étant retenue à Paris par une grossesse difficile. Je me rendais donc à l'école presque tous les jours. Je m'occupais du secrétariat, je participais à plusieurs activités, j'accompagnais les enfants à la patinoire ou à la piscine. Ma présence constante favorisait les interactions avec les trois enseignants, dont Françoise L.

Au début, elle m'épatait par l'énergie qu'elle dépensait dans son travail, par son désir d'amener les enfants au-delà de la seule réalité scolaire. Je l'admirais, d'une certaine façon. Puis les choses ont évolué, peu à peu. Parfois, quand elle avait quelques minutes de libres, elle venait fumer une cigarette en ma compagnie dans le minuscule local qui servait de secrétariat. Comme membres du comité de gestion de l'école, nous nous voyions les soirs de réunion. Je participais aussi à divers comités où elle était présente. Nous nous entendions bien, mais nos relations restaient purement amicales.

Ensuite, par l'entremise du «service de courrier de l'école», nous avons échangé de petits mots anodins, mais doux. Nous étions souvent ensemble. Vers la fin de l'année scolaire, de nombreuses occasions de nous rencontrer se présentèrent. Il y avait tant de choses à organiser, et il était si agréable de se côtoyer. Un camp vert nous permit de passer quelques jours ensemble, de mieux nous connaître, de mieux nous apprécier. Nos petits mots anodins sont alors devenus des messages plus sérieux. L'amitié se transformait lentement en un sentiment plus fort, plus troublant. Puis un après-midi au mont Royal vint sceller cet aspect nouveau de nos relations. Des paroles furent prononcées, des paroles que nous ne pouvions plus rattraper, que nous ne voulions pas rattraper. Des sentiments avoués, des désirs exprimés, un bonheur à venir.

C'est au début de l'été, et dans le cadre d'une vie conjugale désorganisée, presque agonisante déjà, que l'aventure prit véritablement une tournure charnelle. J'hésitais encore, pourtant. Une première soirée à son domicile ne se conclut pas autrement que par un chaste « bonsoir ». Ce n'était que partie remise. Bientôt, des ébats coupables remplacèrent nos discussions. L'affaire était sérieusement engagée.

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J'ai connu de bons moments avec Françoise. Nos rapports étaient cependant ambigus. Elle aimait les hommes, je ne me formalisais pas de ses écarts. D'ailleurs, je vivais toujours avec mon épouse, qui s'accommodait fort bien de la situation. En fait, cette histoire créait beaucoup de confusion dans ma petite tête. Quand Françoise a changé d'école, un de mes fils l'a suivie, moi aussi. Nous étions toujours de bons partenaires sur le plan scolaire, je m'occupais plus que jamais de la bonne marche de l'établissement, et même des deux établissements, puisque mon autre fils était resté à l'école du Plateau. Parallèlement, nous poursuivions notre relation amoureuse. Mais j'avais beaucoup de difficulté à quitter la couche d'une institutrice accueillante pour plonger dans le lit conjugal. Je sentais bien que la situation ne pourrait s'éterniser.

Françoise décida de s'acheter une maison. Je l'accompagnais dans ses visites des demeures qui l'intéressaient. Un jour, elle me parla d'un endroit où « nous » pourrions habiter. Ce fut le début de la fin. Je savais bien que je n'avais aucune envie de quitter mon épouse. Et s'il était très agréable de fréquenter cette femme, ce n'est pas pour autant que je désirais changer de vie. Progressivement, nos rapports se refroidirent. Un matin, alors que nous prenions notre café, elle aborda franchement la question, et les points furent mis sur les « i », comme on dit. Ce fut fait sans douleur. « Je n'arrive même pas à pleurer » me dit-elle. J'en fus soulagé. L'histoire se terminait comme elle avait commencé, en douceur.

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Françoise était un joli bout de femme. Elle avait un sourire coquin qui faisait craquer les messieurs. Elle n'était pas bien grande, mais ses formes généreuses attiraient les regards. Entreprenante et dynamique dans son travail, lascive et généreuse dans ses amours, elle avait bien des atouts. J'ignore ce qu'elle est devenue. Elle est aujourd'hui dans la mi-soixantaine, et je veux croire qu'elle est toujours aussi ouverte aux autres.

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