1 août 2007

Le cinéma

Le cinéma, c'est une longue histoire d'amour dans ma vie. Des films, j'en ai vu des milliers, de différents genres, selon les époques, selon l'air du temps. Et je suis bon public, depuis toujours. Mes goûts ont évolué au fil des ans, bien sûr, mais je voue un culte à certains réalisateurs, comme Lelouch (même s'il me déçoit un peu depuis quelques années), et à certains films, comme Les Parapluies de Cherbourg, que j'ai vu à une centaine de reprises et que j'ai certainement «écouté» au moins mille fois. Je peux chanter toutes les répliques, de la première à la dernière; je les connais par coeur. Je connais tous les personnages; quand je pense à eux, c'est comme si je pensais à de véritables personnes.

Cette histoire d'amour a commencé il y a longtemps. J'étais encore enfant, en fait. À la télévision, le vendredi soir, Radio-Canada présentait Cinéma international : on y voyait des longs métrages qui venaient de tous les horizons. Je me souviens de ce que disait l'annonceur qui présentait l'émission : «De Paris, de Londres, de Rome et de Hollywood, voici...» J'entends même encore le son de sa voix, une voix toute radio-canadienne. Mon acteur préféré alors que j'avais sept ou huit ans, c'était Eddie Constantine, un dur de dur, tombeur de ces dames. Oui, je l'aimais bien.

Il y avait aussi le cinéma du dimanche après-midi, dans le sous-sol de l'église. Une organisation qui s'appelait Tambour-Battant y présentait des films pour les jeunes. C'est là que j'ai connu Abbott et Costello et les frères Marx. C'est là que j'ai vu tous les Tarzan. Comme on a pu rêver d'être cet homme de la jungle, si sûr de lui, si magnanime envers tous ces pauvres Noirs tout juste bons à jouer du tam-tam et à se faire bouffer par les lions. Du délire!

Un peu plus tard, je me suis intéressé au Ciné-club du dimanche soir, toujours à Radio-Canada. Ce que j'ai pu en voir des films russes sous-titrés et des Bergman (Dieu ait son âme). Et je les appréciais, ces foutus films. Mon époque intello, quoi! Aujourd'hui, je suis plutôt paresseux, sur le plan cérébral. Je vais souvent vers la facilité. Et le cinéma a tellement changé. Je peux encore aimer Michel Simon dans Boudu, Raimu, Fernandel, Paul Meurisse et Pierre Brasseur, bien sûr, mais j'ai un fort penchant pour les acteurs plus «modernes», comme Lino Ventura, Patrick Dewaere et Gérard Depardieu.

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Je n'ai aucun souvenir du premier film que j'ai vu dans une vraie salle de cinéma. Peut-être était-ce un film où Glen Ford jouait le rôle d'un chevalier, au cinéma Villeray. Je me souviens bien, par contre, avoir vu Le jour le plus long, et Dieu que j'avais trouvé cela... long. Puis il y a eu l'époque du cinéma Viau, sur le boulevard des Laurentides, à Laval. Nous y allions tous les samedis, en matinée. Sauf un film mettant en vedette Brigitte Bardot, je ne me souviens d'aucun des films que j'ai pu voir à cet endroit. Nous nous y rendions en groupe : peut-être s'agissait-il davantage de parties de plaisir que de véritables séances de cinéma.

Bientôt sont arrivés des films plus marquants, comme Jaws, par exemple. La salle était si pleine que nous étions plusieurs spectateurs à être assis directement sur le plancher, chose inimaginable aujourd'hui. Même si je pouvais aimer ce genre de films, j'entretenais toujours une certaine flamme pour le cinéma d'auteur. Ainsi, j'avais vu Cris et chuchotement de Bergman en version originale, sous-titrée en anglais. Rien ne me rebutait!

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Un soir d'automne, en 1971, nous étions plusieurs à nous être rendus au cégep Bois-de-Boulogne pour y voir le Satyricon de Fellini. La rumeur portait ce film, qui était devenu une espèce d'objet de scandale. L'amphithéâtre était rempli, nous étions assis dans les premières rangées. À ma gauche, il y avait une jeune femme, Lisette Cabana. Il était bien plaisant d'être assis à ses côtés. Elle était agréable à regarder, et j'aimais discuter avec elle. Ce que je ne savais pas, cependant, c'est qu'elle était émotive, très émotive. Et que ses émotions s'exprimaient sans ambiguïté. Ce film de Fellini contient des scènes qui sont très dures, de nature à secouer les âmes sensibles, et c'est ce qu'était Lisette, une âme sensible. Bientôt, elle agrippa mon bras, pour ne plus le lâcher. Quand les choses se corsaient, elle enfonçait douloureusement ses ongles dans ma chair, et aux moments cruciaux du film, elle allait jusqu'à me frapper du poing, avec force. Tant et si bien que, nerveux, je me concentrais davantage sur ma compagne que sur le récit qui se déroulait sur l'écran. Je suis sorti de là avec une épaule endolorie et le bras marqué jusqu'au sang.

Je ne suis plus jamais retourné au cinéma avec Lisette.

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Des années plus tard, au cours des années quatre-vingt, le cinéma Papineau, qui était devenu un cinéma de répertoire, présentait Les 120 journées de Sodome, de Pier Paolo Pasolini, un autre film à la réputation sulfureuse mais qui, dans mon souvenir, dénonçait surtout la tyrannie et la cruauté humaine. Assis dans la salle, nous écoutions le film avec attention, au diapason du reste du public, composé, à n'en point douter, de cinéphiles. Il y avait là moi et Christiane, si je me souviens bien, et peut-être mon cousin Claude et son épouse, Francine, mais je n'en suis pas sûr. Quoi qu'il en soit, le propos du film créait une lourde atmosphère dans la salle. Soudain, alors que les scènes les plus cruelles se déroulaient sous nos yeux, les scènes où on brûle à la chandelle le bout des seins d'une jeune femme et le pénis d'un garçon, un rire. Un rire gras, tonitruant, un rire sans-gêne mais, surtout, un rire reconnaissable entre mille, du moins pour nous. Il émanait du frère de mon ami Gino, un garçon sympathique, certes, mais un garçon que, dans les circonstances, nous ne tenions pas à rencontrer. Je n'osais imaginer me faire apostropher par cet individu devant les gens présents, qui étaient bien près de huer l'importun. Sitôt que les premiers mots du générique apparurent à l'écran, nous nous précipitâmes à l'extérieur, question de ne pas nous faire voir en compagnie de cet amateur de cinéma au jugement pour le moins discutable. On a sa fierté...

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Une seule fois je me suis rendu voir le même film deux soirées consécutives. Il s'agissait de La grande bouffe, de Marco Ferreri. Ce film m'a tant marqué quand je l'ai vu que j'y suis retourné le lendemain en compagnie d'amis alléchés par la critique dithyrambique que j'avais faite de l'oeuvre de Ferreri. J'ai revu ce film à quelques reprises depuis; il a bien vieilli, je crois, et certaines scènes n'ont rien perdu de leur humour corrosif et de leur subversion. D'autres films m'ont aussi ému ou secoué. Je pense ici, entre autres, à Viva la muerte, d'Arabal, et à Orange mécanique, de Stanley Kubrick, qui ont su, chacun à leur manière, troubler la quiétude du bon peuple.

Aujourd'hui, mes goûts me portent plutôt vers des drames plus intimistes. Mais je ne dédaigne aucun genre, sinon tout ce qui est film d'action ou de science-fiction. Pas capable! L'âge, sans doute...

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1 commentaire:

Anonyme a dit...

Je crois que j'ai vu presque tous les films que vous citez. Evidemment, Fellini, Pasolini et notamment les 120 jours sont des films "exceptionnels" sous tous rapports. de 120 jours, que j'avais à la Cinémathèque, qui fait des cycles des auteurs, je suis sortie bouleversée. Beaucoup de personnes quittaient le film avant la fin, ne pouvant le supporter. Pour moi c'était un film qui montrait la prise de pouvoir cruelle des impuissants. L'autre jour, j'ai vu un joli film, je vous donne le titre "The Dreamers" de Bernardo Bertolucci. Un film avec pour background Paris des années 68. Intimiste, émouvant. Just in case ou vous aviez du temps à perdre :-))