13 septembre 2007

Paris, prise un

Janvier 1988. Une idée me traverse l'esprit : aller rejoindre mon épouse qui est à Paris depuis plus d'un mois, à faire je ne sais trop quoi. En fait, je ne veux pas trop penser à ce qu'elle peut faire dans cette ville. Des recherches? C'est ce que je voudrais croire, mais son voyage a un parfum de fin du monde, comme le chante Michel Legrand. Il me reste à clouer le cercueil, mais peut-être que j'espère encore sauver la mise. Et puis, je n'ai jamais mis les pieds en Europe, je n'ai jamais voyagé par avion, je n'ai jamais tenté de sauver un mariage moribond.

C'est drôle, Paris ne m'a jamais attiré. Dans ma petite tête, aller à Paris, c'est comme aller en Floride : une destination quétaine. Tout le monde se rend à Paris un jour ou l'autre, et ça me rebute. Si ce n'était d'y retrouver ma douce moitié... mais ça m'excite de prendre l'avion. Mon baptême de l'air, comme on dit!

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Le vol se passe bien. Courte escale à Amsterdam. Je me rends aux toilettes : je n'ai jamais vu de toilettes publiques aussi propres que celles de l'aéroport de Schiphol. J'écoute les gens parler autour de moi et je ne comprends rien. Une sensation délicieuse : je suis vraiment à l'étranger.

L'arrivée à Paris est moins joyeuse. Nous atterrissons à Roissy alors que mon épouse m'attend à Orly. Petit quiproquo à mettre au compte de l'agent de voyages qui m'a affirmé, plutôt deux fois qu'une, que j'arriverais à Orly. Que faire, sinon attendre? Au bout d'une heure, mon nom résonne dans l'aéroport : on me demande au téléphone. Après quelques explications houleuses avec mon épouse, il est décidé que je dois l'attendre. D'ailleurs, je ne saurais pas où aller, et la fatigue commence à faire son œuvre. Je suis irascible, mais je n'ai d'autre choix que de prendre mon mal en patience. Deux heures plus tard, Christiane apparaît enfin. Nous prenons le RER. Une fois à Paris, nous empruntons le métro pour nous rendre à la résidence des étudiants canadiens, où Christiane doit prendre quelques effets personnels. J'y rencontre Luc F., un ancien camarade d'université. Puis nous repartons, toujours en métro. Je suis exténué, je n'ai pas vraiment dormi depuis près de trente-six heures. Le métro est bondé, c'est l'heure de pointe. Nous dénichons finalement un petit hôtel. Un hôtel vraiment modeste, avec W.-C. et douche à l'étage, mais pas dans la chambre. Je suis d'une humeur massacrante et regrette mon escapade parisienne. En avoir les moyens, je rentrerais immédiatement chez moi.

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Au cours des deux premiers jours, Christiane me trimballe un peu partout. Je la suis, sans conviction, un peu excédé par son assurance. À croire qu'elle a passé sa vie dans cette foutue ville! Mon voyage a tout d'un mal de dent. Je souffre en silence. Nos rapports sont réduits à l’essentiel : polis, sans plus. Puis, le troisième jour, elle m'annonce qu'elle a des trucs à régler, que je vais devoir me débrouiller seul. Elle m'abandonne à l'hôtel. Je décide alors de visiter la ville à ma façon : à pied!

J’entreprends une longue promenade dans les rues parisiennes, à un rythme qui me convient. Dans une attitude presque contemplative, j’observe les gens et les choses, je hume les odeurs. Lentement, l’atmosphère de Paris m’imprègne. Je me découvre soudain admiratif : tout est tellement beau dans cette cité millénaire. Force m’est d’admettre que le charme particulier de Paris opère. Tout à coup, je ne suis plus du tout déçu par mon voyage en cette contrée; je suis même séduit.

Dès lors, tout change. La moindre activité devient une partie de plaisir. Je comprends qu’on ne peut résister à l’attrait qu’exerce cette ville.

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Dans les jours qui suivent, je découvre avec ravissement Notre-Dame et les ruines romaines qu’elle couvre, la Samaritaine, le Louvre, le chaud quartier de la porte Saint-Denis, les Halles, le cimetière du Père-Lachaise, l’Arc de Triomphe. Un soir, par un temps frisquet, nous remontons les Champs-Élysées : un véritable désert. C’est étrange! Comment une ville aussi populeuse peut-elle être aussi vide à certaines heures?

Arrive le week-end. Nous louons une voiture et nous risquons dans la circulation parisienne. Une véritable folie mais, après quelques minutes, je comprends le principe élémentaire de la conduite en ces rues encombrées : il faut s’imposer, au détriment de toute courtoisie. À cette condition, et à cette seule condition, on peut s’en sortir, et croiser la place de l’Étoile sans frémir. Je comprends aussi que le parking, c’est partout et n’importe où.

Sous la pluie d’un dimanche tout gris, nous quittons la ville. Je veux voir autre chose que Paris en ce court séjour en terre française. Nous mettons le cap sur Orléans. Visite de la cathédrale et d’une vieille église où un curé nous accueille fort cordialement. La circulation dans cette ville est beaucoup plus civilisée qu’à Paris. Puis c’est Chartres… et un grand bonheur. Cette ville est magnifique sous la grisaille dominicale, et sa cathédrale, absolument impressionnante. Chaque minute en ces lieux est une véritable jouissance. Je suis totalement subjugué.

Retour vers Paris, toujours sous un ciel gris. Petit crochet par Versailles. Le château est fermé en cette fin d’après-midi, ce qui ne nous empêche pas d’arpenter ses jardins. L’hiver ne les rend guère attrayants, mais je suis quand même content d’être venu.

Puis nous rentrons à Paris. La fin du week-end se traduit par d’ahurissants bouchons : plus rien ne bouge. Dans la voiture, moi et Christiane retrouvons nos vieux réflexes : «Tourne ici!», «Prends cette rue!», «Avance!» Le ton monte, la tension aussi. Tout est normal.

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Lundi matin, cinq heures. Nous sommes en route pour Roissy. Christiane doit prendre un vol qui la ramènera à Montréal. Moi, je ne quitte le sol français que le lendemain mais, comme je n’ai plus un rond, j’ai décidé de passer cette dernière journée en France dans un hôtel de l’aéroport. De toute façon, je sens le besoin de me recueillir, de réfléchir. Une chambre d’hôtel est un lieu tout à fait propice à ce genre d’activités cérébrales.

C’est avec le cœur gros que je regarde l’avion de Christiane s’envoler. Il y a une espèce de symbole dans ce départ. Je sais qu’il marque une étape importante dans ma vie, qu’il est annonciateur d’événements douloureux qui viendront bousculer mon univers.

Une semaine plus tard, Christiane me quittera…

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1 commentaire:

Pourquoi moi? a dit...

Superbe texte. J'ai adoré, et je suis emu.

Merci