26 juillet 2007

Camping

Je n'ai jamais aimé le camping, même si j'en ai fait beaucoup à une certaine époque. En effet, pour des gens aux revenus limités, les vacances sous la tente constituent une option attrayante. Bien sûr, j'ai parfois eu du plaisir à camper, une fois que tout était installé, que le temps était au beau fixe, que les moustiques se faisaient rares... et que j'étais de bonne humeur. Ces conditions, toutefois, furent rarement réunies.

J'en parle au passé car le camping, pour moi, c'est de l'histoire ancienne. Ma dernière expérience, voici quatre ou cinq ans, m'a convaincu qu'il était inutile que je persévère. Seul avec les enfants, j'ai dû assumer tous les rôles : cuistot, aide domestique, chauffeur, technicien en loisir, etc. Et ce, souvent sous une pluie battante qui n'égayait en rien le séjour en terre néo-brunswickoise. Bref, ce fut le chant du cygne de ma vie de campeur. Depuis, je loue un chalet en compagnie de ma soeur, et je passe des vacances formidables.

Évidemment, des souvenirs précieux et heureux sont aussi associés à cette activité. Jamais je n'aurais séjourné dans les quatre provinces maritimes sans le recours à cette activité. Je n'aurais pas visité Louisbourg, arpenté le cimetière de Bouctouche, tué les maringouins de Shippagan, foulé le sol rocailleux de Terre-Neuve. Je n'aurais pas eu le plaisir de parcourir la verdure merveilleuse de l'Île-du-Prince-Édouard, de me prélasser sur la plage de Cavendish ou, jadis, d'emprunter le traversier menant en cette minuscule province. Et c'est encore grâce au camping que j'ai pu me promener sur les îles de la Madeleine. Mais il s'agissait, dans ce dernier cas, de la fin annoncée d'un loisir qui, pour moi, avait tout de la torture.

Je sais que des gens adorent cette activité. C'est leur droit. Personnellement, je n'ai que peu d'affinités avec la lampe à brûleur qui gronde sans arrêt, avec les allumettes humides dont on ne tire aucune étincelle, avec le poêle à essence qu'il faut pomper sitôt levé pour se faire un café. Non, vraiment, je laisse ça aux braves qui salivent à la pensée d'une nuitée sous la toile.

Je sais aussi qu'il y a deux sortes de camping : le camping familial, dont les moments heureux ne parviennent pas à me faire oublier les inévitables désagréments qui lui sont associés, et le camping d'ado, que j'ai autrefois pratiqué. Ce dernier n'a rien à voir avec un quelconque amour de la nature ou avec une recherche bucolique de la sérénité. Tout le contraire!

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Nous nous trouvions à Nominingue, installés sur la plage de la baie Richard. Il y avait là moi, Claude, Robert et l'ineffable Gilles B. Un quatuor de vacanciers très peu sérieux et, surtout, très peu rompus aux exigences de la vie sous la tente. Non, nous ne nous attendions pas à profiter du calme de la nature ou à goûter avec béatitude au repos qu'aurait pu nous procurer ce séjour estival. Nous cherchions plutôt à nous amuser.

Chaque soir, nous montions au village, à la salle de danse, plus précisément, pour draguer. Le jour, nous nous prélassions sur le quai de la baie. Nous n'étions pas très occupés. Les tâches courantes... nous nous en dispensions. On se traînait de la tente au quai, où on bavardait avec qui s'y trouvait. On se baignait, évidemment, et il nous arrivait de manger. Du pain, essentiellement. C'est que nous n'étions pas très riches; on peut même dire que nous étions sans le sou. Et tout ça à cause de Gilles. Le «pauvre» garçon souffrait d'un coup de soleil, et il n'avait rien trouvé de mieux que de piger dans nos maigres avoirs pour acheter un énorme pot de crème Noxéma pour soulager sa peine. Ce qu'on a pu gueuler! En vain. Nous en étions donc réduits à ne manger que du pain, que nous truffions à l'occasion de bleuets sauvages que nous avions cueillis.

Nous jasions parfois avec un monsieur qui habitait au bout du chemin menant à la baie, Lou Belloff. Un brave homme, aujourd'hui décédé, qui s'étonnait de notre régime. Nous avions dû lui expliquer que notre budget ne nous autorisait aucune folie : tels des prisonniers d'un autre temps, nous devions nous contenter d'eau et de pain. Consterné par notre situation, il eut un geste : il nous offrit de bon coeur un billet de deux dollars pour améliorer notre sort. Il nous demanda alors ce que nous comptions acheter avec ce billet. Du pain, bien sûr! Que pouvions-nous faire d'autre avec deux dollars? Il réfléchit quelques secondes, remit le billet de deux dollars dans sa poche, puis nous donna cinq dollars. Nous sentions que ça lui coûtait, aussi nous promîmes d'en faire bon usage. Nous ne lui avouâmes jamais que son cinq dollars fut dépensé... à la seule boulangerie.

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Il y avait de nombreuses jeunes filles qui logeaient dans les chalets qui ceinturaient la baie. Plusieurs aiguisaient notre intérêt, dont une dénommée Linda, qui présentait de bien jolies formes. Elle était plutôt affriolante dans son maillot deux-pièces (il n'était pas question de bikini pour les adolescentes de cette époque, les parents veillaient encore à la décence de leur progéniture). Nous nous amusions avec ces demoiselles, heureux de les côtoyer. Il ne s'agissait que de batifolages sans conséquence. Cependant, elles étaient bien agréables à regarder, et nous ne nous privions pas du joli spectacle qu'elles offraient. J'entends ici moi, Claude et Robert. Car Gilles, pour des raisons qui lui appartiennent (peut-être son coup de soleil), se terrait dans la tente et observaient de loin la faune féminine... à l'aide d'un petit télescope! Il avait apporté un télescope; il y avait là préméditation. Ce qu'il nous fit honte!

Nous fîmes bientôt connaissance avec Anne M. et son jeune cousin, Claude, rapidement baptisé Ti-Claude. Elle passait l'été au chalet de sa tante. Elle me plut immédiatement. Elle avait tout de la jeune fille distinguée et sage. Rien à voir avec les autres filles qui s'ébattaient sur le quai ou sur le rivage. Elle m'intimidait un peu par son sérieux. Je ne savais trop comment m'y prendre pour lui faire part de mon intérêt pour sa délicate personne.

Les jours filaient et je ne parvenais pas à trouver le moment propice pour amorcer ma cour. Un soir, l'occasion se présenta. Nous nous étions rendus au chalet des parents de Claude en compagnie d'Anne. Alors que mes trois comparses déconnaient à l'intérieur, je m'installai sur le perron, où Anne bientôt me rejoignit. Les choses auguraient bien. Nous parlâmes de tout et de rien durant quelques minutes, puis je passai à l'attaque. J'exploitai alors une stratégie qui m'avait souvent été profitable : l'auto-dénigrement. Il s'agit simplement de mettre en lumière ses défauts (réels ou inventés) pour obliger son interlocutrice à les nier, puis d'en venir à des aspects plus intimes. Ainsi, arrivait le moment où j'affirmais n'être «pas bien beau»; la jeune fille se trouvait alors devant deux options : ou elle ne disait rien, et c'en était fait de mes prétentions, ou elle protestait et soutenait que j'étais «plutôt bien», avec un sourire gêné, et l'affaire était dans le sac. J'en étais à cette délicate partie de mon plan; Anne allait s'exclamer que j'étais plutôt beau garçon quand Gilles sortit du chalet, une balle à la main, et me demanda si je voulais «me lancer» avec lui. Je l'aurais bien assassiné, ce cher Gilles...

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J'eus une autre chance de me faire valoir auprès de la belle Anne. Nous étions au village et la nuit était tombée. Anne dit qu'elle devait rentrer au chalet, mais aucun de mes compagnons n'était très chaud à l'idée de regagner la tente : il était trop tôt, selon eux. Moi qui ne demandais pas mieux que de devenir le chevalier servant de la damoiselle, je sautai sur l'occasion. Nous devions marcher environ un kilomètre et demi pour rejoindre le chalet. La moiteur de la nuit, le ciel étoilé, la route déserte, tout concourait à faire de cette promenade le moment idéal pour une déclaration d'amour. J'écoutais distraitement le babillage de ma compagne de route, une idée occupant toute mes pensées : allais-je l'embrasser? Je ne songeais plus qu'à ça, si bien que toute spontanéité disparut et que je me trouvai bien mal à l'aise, lorsque nous fûmes rendus au chalet, pour faire mes adieux. Elle se tenait devant moi, patiente. Sans doute espérait-elle un baiser, mais j'avais perdu tous mes moyens. Je bafouillai un vague au revoir et la plantai là. Comme fin romantique à une historiette d'été, il y a mieux!

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J'avais raté mon coup, ce soir-là, mais rien n'était joué. Après tout, je pourrais la revoir lorsque nous serions de retour à Montréal. L'été 1969 tirait à sa fin, je voyais venir un automne qui pourrait être intéressant. Mais la situation allait rapidement évolué dans un sens que je ne pouvais encore prévoir.

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