9 juillet 2007

Rencontre

J'ai parfois un peu de difficulté à mettre tous les morceaux dans le bon ordre, à me souvenir avec exactitude du déroulement des événements. Mais il y a des choses qu'on n'oublie pas, et des dates inscrites à l'encre indélébile dans le grand livre de sa vie. Et il y a aussi de petits préambules aux moments marquants d'une existence.

Nous sommes en novembre ou en décembre 1969. La soirée est douce pour la saison. À notre habitude, nous traînons dans les rues. Nous nous trouvons à Laval-des-Rapides, près de la rue Desmonts, là où la famille de Robert a récemment emménagé. Nous apercevons soudain deux ou trois jeunes filles qui déambulent sur le trottoir. Nous nous approchons, toujours intéressés par la gent féminine. Surprise! Parmi ces jeunes filles se trouve Diane L., mon «ex». Petite conversation impromptue avec les demoiselles. Je suis toujours sensible au charme de Diane, et je m'aperçois que Robert la mange des yeux. La situation est plutôt amusante.

Une fois les jeunes filles disparues, nous ne tardons pas, en bons crétins que nous sommes, à discuter de leurs attributs. Visiblement, Robert a été séduit par Diane. Je me moque de lui et je prétends pouvoir de nouveau sortir avec elle, si le cœur m’en dit. Il proteste et soutient qu’il saura bien faire pencher la balance en sa faveur. Nous nous lançons alors un défi idiot sans enjeu véritable, sinon celui de préserver notre honneur de jeune mâle : on usera de nos talents de séducteurs auprès de la belle, et le meilleur saura bien gagner son cœur.

Les choses ne se passeront pas comme nous nous y attendions. En fait, je n’ai jamais vraiment cherché à reconquérir Diane car, bientôt, une jeune femme allait entrer dans ma vie, et pour un bon moment.

*

Un bon «party» a toujours constitué le meilleur moyen de rencontrer des filles et de les draguer. Souvent nous nous rassemblions à la maison, au sous-sol, pour écouter de la musique, jaser et, disons-le, «niaiser». Nous faisions parfois des trucs assez rigolos, comme des concours de «détachage de brassière» auxquels participaient, évidemment, nos amies les plus volontaires. On jouait aussi à la bouteille, à l’occasion. Des petits jeux bien anodins, finalement. Il y en avait aussi qui dérapait, comme Anne S., qui n’hésitait pas à manifester son humeur en éteignant ses cigarettes aux endroits les plus imprévus, comme sur mon visage… Bref, la vie était belle et, ma foi, assez excitante. Mais ces rencontres n’avaient pas le cachet que peut offrir un vrai «party». C’est pourquoi nous décidâmes d’en organiser un chez moi, avec l’autorisation de mes parents. Il eut lieu le 17 janvier 1970.

J’avais invité plusieurs personnes dont, sur la demande pressante de Robert, Ginette Moran. Sans doute Diane y était-elle, et sa sœur Francine, mais je ne me souviens plus très bien des gens qui sont venus. Ce dont je me souviens, par contre, c’est que Robert avait invité une de ses amies, une jeune fille qui gardait les enfants de ses voisins durant l’été : Christiane.

Le «party» ne fut pas un succès, sans être un fiasco. Ginette Moran était arrivée en compagnie de jeunes hommes peu recommandables, si bien que l’atmosphère était un peu lourde. En fait, personne ne s’amusait. Et ces garçons avaient apporté de la bière, ce qui n’était pas prévu au programme. Pour assainir le climat, j’ai demandé à mon père d’intervenir. Il est donc descendu pour nous annoncer que la fête était terminée. Mais elle n’était terminée que pour les indésirables. Une fois qu’ils furent partis, tout revint à la normale. Bien sûr, la fête s’en trouva réduite, mais ce fut pour le mieux.

Christiane m’intéressait, je dois le dire, et elle se montra avenante, sans outrepasser le bon goût. Mais elle était gentille avec tout le monde, aussi ne pouvais-je rien conclure de son attitude. Elle était vêtue d’une petite jupe de daim brune et d’un col roulé plutôt sobre. Elle affichait un entregent que je n’avais pas, et me paraissait bien distinguée.

C’est le souvenir que je garde de notre première rencontre.

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La semaine suivante, nouveau «party», mais chez les B., cette fois. J’avais invitée une jolie demoiselle (j’en ai fait mention dans un précédent billet), mais elle me fit faux bond, malheureusement. Je ne crois pas que cela m’ait beaucoup affecté. Il faut dire que l’alcool contribuait à égayer la fête et, conséquemment, à me rendre d’humeur badine. J’ai trop bu, je pense que j’ai lourdement dragué Christiane et Anne M., qui était présente ce soir-là, avant de finalement m’écraser sur un sofa et… sur mes lunettes. Je revois Christiane qui s’inquiétait de mon état. Peut-être avais-je, finalement, des chances de séduire cette jolie personne!

Le jour de la Saint-Valentin, on remit ça. La soirée se déroulait chez mon cousin Claude. Ce fut épique. À mon grand désappointement, Christiane arriva accompagnée d’un dénommé Jean-Paul, un bon garçon que nous fréquentions depuis peu. Pour tromper ma déception, je me mis à boire un peu trop, et je ne fus pas le seul. Mais, au fil de la soirée, il m’apparut évident que Christiane lorgnait en ma direction. J’en déduisis que le pauvre Jean-Paul venait d’être largué.

J’étais ivre, je faisais du chahut, je me cognais partout. Ma tante Bado était un peu débordée par la tournure des événements. Christiane s’offrit à m’accompagner à l’extérieur : une petite promenade me calmerait. Sitôt sortis, nous vîmes Gilles, à quatre pattes dans la neige, qui vomissait entre deux éclats de rire. Lui aussi avait atteint certains sommets, sur le plan de l’ébriété.

Je me souviens un peu de cette promenade. Elle fut bien agréable, et combla le vif désir que j’avais de me rapprocher de Christiane. Elle prit mon bras. Ce geste, bien que simple, était porteur d’un avenir radieux, me sembla-t-il.

*

Christiane habitait sur la rue Logan, dans le centre-sud de Montréal, qu’on appelait autrefois le faubourg à mélasse. Un quartier dur à l’époque, quartier qui connaîtrait plus tard un embourgeoisement avec l’érection de la tour de Radio-Canada et la venue d’une faune intellectuelle qui allait chasser les vieux habitants plus à l’est. Le jeudi qui suivit le «party» chez Claude, Christiane nous invita à une exposition scientifique qui se déroulait dans son école. Ce fut une bien belle soirée, et Claude était particulièrement allumé ce soir-là. Il semblait s’intéresser à tout et posait de nombreuses questions. J’y rencontrai Lina Bonami, une fille que j’avais connue à Pont-Viau. Elle était déménagée et fréquentait maintenant cette école.

Après la visite de l’exposition, nous raccompagnâmes Christiane chez elle, non sans nous arrêter d’abord dans un petit restaurant pour boire un Coke. Au restaurant, elle s’assit à mes côtés. Ce fait pouvait sembler insignifiant, mais c’était tout le contraire : il symbolisait la naissance de notre union. En prenant place à mes côtés, Christiane m’indiquait qu’entre elle et moi, c’était vrai.

*

Voilà comment s’est amorcée une histoire qui durerait près de vingt ans. Les premiers moments d’une telle histoire sont toujours fort émouvants et nous procurent des émotions inoubliables qu’il est bien difficile de rendre par des mots. Je ne sais pas si j’en serai capable, mais je vais essayer.

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3 commentaires:

Anonyme a dit...
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blogue.
Vagabonde a dit...

Zut, pourquoi tu as supprimé un message. Il était vraiment nul ?

Cyrano a dit...

@ Vagabonde : c'était un message en portugais, un vendeur de t-shirts personnalisés. Je ne sais pas pourquoi il m'a envoyé un message, Il doit en envoyer à tous les blogs.