11 juin 2007

Une nouvelle école

Il est de bon ton, aujourd'hui, de dénoncer la vie de banlieue, de tracer un sombre portrait des gens qui y habitent, d'en faire même des sujets de moqueries. Au milieu des années soixante, cependant, il en était tout autrement. La banlieue, à cette époque, était un rêve prolétarien : chacun nourrissait l'espoir de s'y établir un jour. Ces endroits «hors les murs», situés à mi-chemin de la campagne, devenaient de magnifiques écrins pour élever les enfants sans trop s'éloigner de son lieu de travail. Et les enfants y trouvaient leur compte, assurément. En cette année 1965, année de fusion des différentes municipalités de l'île Jésus, Laval naissait.

Le territoire de cette nouvelle ville offrait mille possibilités aux gamins un peu aventureux. En quelques minutes de marche, on atteignait des boisés où on pouvait construire des cabanes, embrasser sa blonde, allumer des feux. En gagnant le nord, on arrivait à la voie ferrée d'Auteuil : il suffisait de la suivre pour trouver un millions de trucs à faire, pour se sentir au bout du monde, dans une région sauvage et inexplorée. On pouvait aussi, dans l'autre direction, rejoindre la rivière des Prairies, la marina, le barrage d'Hydro-Québec. Oui, Laval offrait des perspectives stimulantes au jeune garçon que j'étais. Mais j'ignorais encore, en octobre, que cet univers fascinant s'ouvrait à moi.

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J'ai terminé mon cours primaire à l'école Saint-Christophe, sur la rue Lahaie, au coin de Grenon. L'entrée à ma nouvelle école fut remplie de surprises. En y arrivant, j'ai demandé au premier élève que j'ai vu s'il pouvait me conduire au bureau du directeur. Le hasard a fait que cet élève, Gilles B., allait devenir un grand ami l'année suivante. Lorsque j'ai rencontré le directeur, M. Riopel, première surprise : il me fit un long discours sur sa conception de la pédagogie et m'affirma, solennellement, que la première chose qu'il avait faite en prenant son nouveau poste fut de jeter la «strap» de son prédécesseur. J'étais perplexe : je concevais difficilement qu'on puisse fonctionner dans un établissement scolaire autrement que sous une autorité forte et, parfois, bien sentie. En arrivant dans la classe qu'on m'avait indiquée, nouvelle surprise : mon enseignante serait... un enseignant. Aucun homme n'avait encore été mon titulaire. Je me suis rapidement aperçu que le pauvre homme, dont je tairai le nom, ne maîtrisait absolument pas la situation. Jamais je n'avais connu classe aussi dissipée. Et moi qui, jusqu'à ce moment, avait été d'une retenue qui frôlait la soumission, je plongeai avec ravissement dans cette joyeuse turbulence, à l'instar de mes notes qui, elles, plongèrent dans des abîmes dont je ne soupçonnais même pas la profondeur. De premier de classe que j'étais, je me transformai lentement, mais sûrement, en cancre patenté. La descente fut lente, mais constante.

Troisième surprise : l'école était mixte. Toute une révélation pour moi, qui n'avais jamais eu le bonheur de côtoyer de ravissantes demoiselles durant les heures d'étude. Petite déception, cependant, je me trouvais dans une classe composée uniquement de garçons. Mais l'organisation de l'enseignement ferait que, bientôt, je fréquenterais assidûment la gent féminine.

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Deux réactions simultanées se produisent dans un groupe où est introduit un élément exogène : d'une part, un certain nombre d'indigènes rejettent l'étranger et lui font durement sentir qu'il n'est pas le bienvenu ; d'autre part, quelques âmes charitables s'intéressent au nouveau venu et font même preuve de compassion à son endroit. Leçon à retenir, cependant : ces âmes charitables sont souvent les éléments mis au ban du reste du groupe. Mais, qu'à cela ne tienne, le nouveau, trop heureux de trouver des bouées pour s'agripper, ne se formalise pas du statut de ces bouées au sein de la classe.

Mon premier ami se nommait Marcel Bombardier. Nous étions rapidement devenus copains et échangions nos numéros de téléphone avant la fin de ma première semaine à Saint-Christophe. Marcel fut, en quelque sorte, mon initiateur aux pratiques du nouvel environnement où je me trouvais. Après quelques jours, j'avais fait ma place dans cet univers où j'allais rapidement gagner mes galons par des frasques dont je ne me serais pas cru capable deux ou trois semaines auparavant. L'enseignant était inoffensif, tout était permis!

Marcel était un bon camarade. Il joua un grand rôle dans mon adaptation à ma nouvelle vie. Son défaut principal tenait à son absolue droiture : avec lui, aucun écart possible, aucune fantaisie permise. Studieux, appliqué, obéissant, il était l'élève modèle et l'ami dont tous les parents rêvent pour leur rejeton. On comprendra que les plaisirs, avec lui, relevaient davantage du cérébral que de l'action. De plus, il avait de curieux penchants pour la chose militaire, et son intégration aux cadets de l'air de la région n'allait pas arranger le coup entre nous. Il avait bien tenté de m'intéresser aux délices de la «drill», mais mon tempérament ne s'accomoda jamais du petit caporal qui hurlait des ordres en anglais que je ne comprenais pas. Mon passage au sein des cadets fut si bref que je n'eus même pas le temps de recevoir mon uniforme.

J'ai fréquenté Marcel durant deux ans, de façon de plus en plus épisodique. Puis nous nous sommes perdus de vue une fois au secondaire, avant de nous retrouver quelques années plus tard. Mais des liens qui nous unissaient, déjà ténus aux premiers jours, ils ne restaient que des lambeaux. Je lui dois cependant d'avoir rencontré Michel, qui deviendra un fidèle compagnon de route pendant de nombreuses années. J'y reviendrai.

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Il y avait quatre classes de sixième : une classe de filles, une classe de garçons, et deux classes mixtes. Indubitablement attiré par les demoiselles, j'enrageais de me trouver dans la classe des garçons. Cependant, on organisa rapidement l'enseignement d'une façon qui allait me plaire. Les enseignants formèrent des groupes mixtes pour l'étude du français et des mathématiques, matières qui occupaient une bonne portion de la journée. Ainsi, je me retrouvai bientôt aux côtés de ces fascinantes créatures. Immédiatement, je repérai certaines d'entre elles, celles qui m'apparaisaient les plus jolies. Je peux nommer, sans faire offense aux autres, Claude Villeneuve et Danielle Vaillancourt, par exemple. J'allais revoir la première, une quinzaine d'années plus tard. Elle était devenue une superbe femme.

Il y avait aussi une dénommée Muriel Chalifoux qui, un matin, me troubla profondément. L'hiver était venu, et bien des filles, pour combattre le froid, portaient un pantalon à l'extérieur, sous une jupe qu'elles roulaient et dissimulaient Dieu sait où. Mais je n'avais jamais remarqué cet artifice. Je me trouvais au fond de la classe, à mon pupitre, seul. Peut-être étais-je rentré rapidement de la récréation. Muriel et une autre élève pénétrèrent dans la classe et gagnèrent leur place. D'où je me tenais, je ne voyais que le haut du corps de Muriel, qui était assise ou accroupie près de son pupitre. Elle entreprit alors de retirer son pantalon. Stupéfait, je regardais la scène; elle ne semblait faire aucun cas de ma présence. Moi, l'imbécile, je ne me doutais pas qu'elle allait dérouler sa jupe et être ainsi décemment vêtue. Pendant quelques secondes, je nageai en pleine confusion. Je ne comprenais pas ce geste alors que les autres élèves arriveraient d'une seconde à l'autre. J'allais lui signaler ma présence. Ce n'est pas que je ne voulais pas profiter du spectacle, mais j'étais tellement mal à l'aise qu'il me semblait nécessaire d'intervenir. Et comme je me préparais à le faire, elle se leva et je vis la jupe qui cachait ses cuisses. Je compris tout et poussai, intérieurement, un profond soupir : le ridicule aurait pu me tuer.

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Mes premiers mois à Saint-Christophe furent heureux. Je jouissais d'une popularité certaine auprès des filles, phénomène qui s'expliquait sans doute par ma qualité de nouveau venu. Marcel affirmait que j'étais la coqueluche de l'école. Il exagérait, évidemment. Mais il était indéniable que les filles me reluquaient beaucoup, et que j'en tirais une certaine vanité. Souvent, le soir, après le souper, j'allais patiner sur la glace qu'on avait installée à côté de l'école. Je ne manquais jamais de cavalières, bien que je fusse un piètre patineur, surtout en duo. Je n'irai pas jusqu'à affirmer qu'il y avait de fortes rivalités entre les filles à mon propos, mais je pense pouvoir dire que certains regards peu amènes que s'échangeaient les belles témoignaient de jalousies qui ne pouvaient que flatter mon égo. J'étais le petit roi.

De ces nuages où je flottais, je ne voyais pourtant pas l'essentiel. Elle est apparue comme ça, durant un cours de français. Je ne connaîtrais pas souvent une telle émotion...

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3 commentaires:

Vagabonde a dit...

Hum... un peu de machisme qui ressort...

Ça fait rien, j'ai hâte de lire la suite ...

Cyrano a dit...

Il en s'agit pas de machisme, c'est simplement comme ça qu'on percevait les choses dans les années soixante.

Véro a dit...

wow j'ai avalé vos mots tellement ils goûtaient vrais...