24 juin 2007

Vancouver

Nos premiers pas dans Vancouver se firent dans l’allégresse d’une liberté que jamais encore nous n’avions connue. À 16 ans, sans aucune contrainte, nous pouvions errer dans cette ville qui, dès les premiers instants, nous charma par ses attraits. Nous avions tout à découvrir.

Sitôt sorti de la gare, je vis les autobus électriques qui, à cette époque, roulaient encore dans les rues de Vancouver. J’en fus étonné et ravi. Il y avait déjà quelques années que ces autobus avaient disparu du paysage montréalais, avec leurs longues tiges qui rejoignaient l’enchevêtrement des fils qui quadrillaient le ciel. Les redécouvrir me réchauffait le cœur. Et puis il y avait ces Chinois, partout. Et c’est dans une minuscule épicerie tenue par une Chinoise que nous nous procurâmes de quoi faire notre premier repas en sol britanno-colombien.

Et il y avait surtout cette ambiance tout à fait particulière qui régnait à cette époque dans la ville, la San Francisco du Nord, où échouait toute une jeunesse en quête d’un monde meilleur, animée d’idéaux dont l’utopie tenait sans doute plus aux doux effluves de la marijuana qu’à une saine compréhension de l’univers. C’était absolument merveilleux.

Mais il y avait aussi la réalité, et les plates contingences de la vie. Portés par une pensée magique qui nous avait fait croire que tous les problèmes s’aplaniraient du seul fait que nous désirions qu’il en soit ainsi, nous croyions certainement qu’il serait facile de trouver un gîte où nous réfugier. Tant d’histoires couraient sur Vancouver. Des jeunes que nous avions rencontrés nous avaient dirigés vers Kool-Aid, un organisme qui s’occupait des ados qui traînaient dans les rues vancouvéroises. Rien d’intéressant pour nous à cet endroit. Puis nous parlâmes à quelques autres personnes, mais aucune n’avait de solutions concrètes à nous proposer.

Comme la nuit tombait, nos illusions perdirent de leur éclat, et une certaine inquiétude vint troubler nos jeunes cœurs. Christiane, d’ailleurs, versa quelques larmes. Devions-nous nous résigner à passer cette première nuit à Vancouver à l’extérieur? À dormir à la belle étoile? Cette perspective n’était guère attrayante et, je dois le dire, une certaine angoisse nous habitait. C’est alors que nous vîmes une jeune homme que nous avions aperçu plus tôt dans la journée. Il travaillait à la réfection de la façade d’une maison. Peut-être habitait-il là? Peut-être pourrait-il nous héberger? Notre dernier recours! Nous nous approchâmes pour lui demander l’hospitalité. Il était fort sympathique et, après nous avoir écoutés, nous pria d’attendre quelques minutes : il devait consulter des gens à l’intérieur de la maison. Il revint bientôt, porteur d’une bonne nouvelle : nous pouvions dormir là.

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Nous sommes ainsi entrés au sein d’une «famille» typique de la côte Ouest de l’ère hippie. Ils vivaient à cinq dans cette maison. Quatre venaient de la petite ville de Woodstock, en Ontario, l’autre, de Winnipeg. Il y avait Rea Van Hees, celle qui semblait être l’âme dirigeante du groupe, Jeff, le garçon qui nous avait accueillis, John, qui tenait davantage du motard que du hippie, et un garçon dont le nom m’échappe (je crois qu’il s’appelait Dave). Le quintette était complété par une jeune fille d’origine hongroise, Mariette Domokos.

Ils nous reçurent avec une belle générosité. Et dès le lendemain, il fut entendu que nous pouvions rester avec eux aussi longtemps que nous le désirions. Moi et Christiane étions aux anges. Nous n’avions plus à penser à trouver un toit. Dès lors, nous explorâmes Vancouver avec ravissement. Évidemment, il fallait songer, quotidiennement, à trouver de quoi nous nourrir, mais personne ne semblait réellement s’en faire avec cette question bien prosaïque. Le matin, John et Dave sortaient et rapportaient des œufs et d’autres vivres qu’ils avaient dénichés Dieu sait où. J’imagine qu’ils volaient ces denrées. Quand, au hasard des jours, l'un de nous recevait de l’argent, c’était la fête. Nous organisions alors une grande bouffe où l’alcool coulait à flots. J’ai mangé des choses innommables en ce lieu. Notamment des saucisses hot-dog cuites dans du vin. Inoubliable!

*

Il n’y avait presque pas de meubles dans cette maison. Une petite table dans la cuisine, quelques chaises dépareillées, un vieux frigo et un four d’une autre époque. Si nous décidions de manger tous ensemble, une porte de chambre déposée sur des briques servait de table. On s’asseyait à l’indienne tout autour, à même le sol, et on mangeait avec appétit le plat qu’un de nous avait concocté.

Tout le monde couchait dans la même pièce, une petite chambre au sous-sol où des matelas avaient été alignés pour former un immense lit. Cette convivialité, à mes yeux, possédait un grand charme. Nous évoluions vraiment dans l’esprit de communauté qui caractérisait cette époque un peu folle : tous pour un, un pour tous! Cette belle solidarité, ce partage intégral des ressources convenaient parfaitement à ma façon de voir les choses.

Je dormais entre Christiane et Mariette. Une nuit, sans doute éveillé par un mauvais rêve, je me suis pressé contre Christiane et je l’ai enlacée, pour bientôt la caresser. Dans un demi-sommeil, je laissais ma main explorer son corps. Mais quelque chose clochait. Soudain, je me suis aperçu que ma main pétrissait un sein que je ne connaissais pas. Du coup, soudainement tout à fait réveillé, j’ai compris que c’était à Mariette plutôt qu’à Christiane que je prodiguais des douceurs. J’étais confus, mais ma méprise n’avait apparemment pas troublé cette jeune personne, qui s’était laissée peloter sans protester. L’esprit du temps…

*

Nous sommes finalement restés un mois avec cette joyeuse bande, avant de revenir à Montréal. Après notre retour, nous avons correspondu quelque temps avec Rea et Jeff qui, eux aussi, avaient regagné leur ville d’origine. Je ne garde que de bons souvenirs de mon premier séjour à Vancouver. Nous y avons vécu des moments exceptionnels. Et j’y ai appris que la faim peut mener à des expériences gastronomiques bien particulières…

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2 commentaires:

Anonyme a dit...

C’est là un très beau texte qui me rappelle plein de beaux souvenirs, en plus…

Vagabonde a dit...

Ah, mais tout ce que tu ne ds pas, aussi... Il y avait tant d'autres choses qui se passaient alors...
Mais c'est bien agréable de te lire.